August 11, 2003
Compagnie canadienne impliquée-- Le petit Belize se retrouve au coer d'une grosse controverse environnementale

Alec Castonguay
Édition LE DEVOIR du lundi 11 août 2003

Une coalition demande au Privy Council de Londres d'empêcher l'érection d'un barrage hydro-électrique dans la forêt tropicale

Triple page d'histoire ces jours-ci à Londres. Pour la première fois, une compagnie canadienne, Fortis Inc., est traînée devant le Privy Council, le plus haut tribunal d'appel du Commonwealth. La cause est également sans précédent, puisque la cour doit se pencher sur une question environnementale, une première, et doit aussi rendre un jugement sur une injonction d'ici vendredi.

Tout ça à cause de l'acharnement d'une coalition environnementale qui n'a pas accepté que Fortis, qui a son siège social à Terre-Neuve, construise un barrage hydro-électrique sur la rivière Macal, au Belize, menaçant de détruire une partie de la forêt tropicale d'Amérique centrale et l'habitat de plusieurs espèces animales rares. L'Agence canadienne de développement international du Canada (ACDI) est aussi impliquée dans l'histoire, puisqu'elle a subventionné les études environnementales contestées par les opposants au projet.

L'érection du barrage, qu'on nomme «projet Chalillo», a soulevé l'intérêt des Britanniques et des militants environnementaux du monde entier. Même les célèbres acteurs Cameron Diaz et Harrison Ford ont joint leur voix, hier, au concert de protestations à l'endroit de la future structure hydro-électrique. Dans une lettre ouverte, les comédiens ont demandé aux trois juges du Privy Council d'accorder l'injonction demandée par la coalition environnementale BACONGO, visant à arrêter immédiatement le projet en attendant la véritable audience qui se tiendra début décembre.

La coalition, The Belize Alliance of Conservation Non-Governmental Organisation (BACONGO), milite depuis deux ans pour faire arrêter le projet.

Études environnementales «bâclées»

La controverse a commencé en 2001, alors que Fortis, une multinationale versée dans l'énergie, acquiert la Belize Electric Company Limited (BECOL) et la Belize Electricity Limited (BEL), les deux sociétés d'État qui contrôlent l'électricité au Belize. Le gouvernement de ce petit pays de 250 000 habitants ne conserve que 5 % des deux entreprises.

Tout de suite, Fortis, par l'entremise de BECOL, met en branle le projet Chalillo sur la rivière Macal. Objectif : fournir 10 % de l'énergie du Belize à l'aide d'un barrage d'une capacité de 5,3 mégawatts. Premiers grincements de dents, le barrage hydro-électrique coûtera 30 millions de dollars, soit le coût par mégawatts «le plus élevé du monde», selon BACONGO. De plus, le contrat entre les deux filières de Fortis garantit un prix d'achat de l'électricité, même si l'approvisionnement pourrait être moins cher au Mexique, actuellement le principal fournisseur.

Les études environnementales sont confiées à une entreprise britannique, AMEC, qui recevra 466 000$ de l'ACDI pour mener les analyses. C'est le coeur du problème. BACONGO affirme que les études sont «illégales» et ont été «bâclées», puisque AMEC a obtenu le contrat «sans appels d'offres» et que l'entreprise possède d'autres contrats ailleurs dans le monde avec Fortis, ce qui «ne garantit pas un processus impartial», peut-on lire sur le site Internet de la coalition. À l'ACDI, on précise que l'agence gouvernementale canadienne n'est pas impliquée dans la construction du barrage
elle-même.

Selon les données disponibles, le barrage provoquerait la création d'un réservoir d'eau long de 25 km et inonderait plus d'un millier d'acres de forêt tropicale. «Le projet va détruire un habitat essentiel pour des espèces rares de jaguars, de singes et d'oiseaux, sans compter l'impact sur des sites géologiques et archéologiques mayas de grande valeur», explique BACONGO dans un communiqué de presse.

La bataille devant les tribunaux

La coalition, qui inclut des organisations comme Probe International, le Sierra Club du Canada et la Natural Resources Defense Council des États-Unis, a donc commencé sa bataille devant les tribunaux du Belize pour faire arrêter le projet.  Depuis, cinq jugements ont été rendus, tous en faveur de Fortis et du gouvernement.

En dernier recours, BACONGO a demandé une audience devant le Privy Council de Londres, qui sert de tribunal suprême pour plusieurs pays du Commonwealth, comme le Belize. «C'est dur de croire que le Belize voudrait sacrifier les droits civils de ses citoyens et un des environnements les plus riches du monde pour un petit barrage et de l'électricité payée trop cher, explique Godsman Ellis, président du Belize Institute of Environmental Law and Policy, membre du BACONGO.  Nous avons demandé au Privy Council de se prononcer immédiatement sur le sort de cette forêt tropicale.»

Le 31 juillet dernier, la cour a accepté d'entendre la cause de BACONGO, créant ainsi un précédent. À la demande de Fortis, l'appel sera débattu le 3 et 4 décembre prochain, et non pas en 2004. «Nous sommes heureux que la date ait été devancée, a expliqué au Telegram de Saint-John, à Terre-Neuve, Stan Marshall, le directeur général de Fortis. Nous pensons qu'avec ce court délai, l'injonction ne sera pas utile, puisqu'en décembre, nous n'aurons pas encore commencé à construire.»

L'injonction demandée par BACONGO vise à empêcher Fortis de faire les travaux de préparation sur le site, en pleine saison des pluies, ce qui menace l'environnement. Déjà, des milliers de tonnes de matériel sont arrivées sur les lieux et l'érection de protections contre les glissements de terrains est en marche. «Présentement, nous n'inondons rien du tout et ne coupons aucun arbre, a précisé Stan Marshall. Nous ne faisons que travailler sur le site même du barrage pour nettoyer l'endroit.»

Dans l'audience préliminaire sur l'injonction, le 31 juillet dernier, les juges du Privy Council se sont dit «soucieux» et «interpellés» par les liens très étroits que le gouvernement du Belize et Fortis entretiennent, estimant que l'entreprise canadienne avait une liberté de manoeuvre «jamais vue dans aucun contrat».

En effet, le Macal River Hydroelectric Act, dont Le Devoir a obtenu copie, a été voté par le gouvernement au mois de juin dernier et décrète que la filière de Fortis, BECOL, peut aller de l'avant avec son projet même si des jugements en cour y sont défavorables. De plus, le gouvernement du Belize s'engage à payer pour tous les  etards dans les travaux ou poursuites perdantes occasionnés par les environnementalistes. Dans la loi, on peut lire que «la sécurité énergétique» du Belize est en cause et «qu'aucun délai ne doit avoir lieu».

En décembre, le Privy Council devra donc décider si cette loi est inconstitutionnelle et si les études environnementales sont fiables, elles qui concluent à des «risques très faibles». Si oui, le gouvernement de Belize a déjà affirmé qu'il se conformerait au jugement.

D'ici quelques jours, le haut tribunal devra aussi décider si les travaux sur le site pourront continuer en attendant l'audience de décembre. Selon les militants écologistes, la réaction du Privy Council est de bon augure pour eux. Chez Fortis, on croit dur comme fer que ce n'est qu'une étape de plus, après avoir déjà remporté cinq jugements. «S'ils pensent que tous ces recours vont nous faire reculer, ils nous connaissent mal», a déclaré Stan Marshall.

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